Les Roses au Smartphone de Nick Knight

Le Monde - Par Lili Barbery-Coulon (2015)

 
 

"C’est aussi sublime que gothique."

NICK KNIGHT

M le magazine du Monde | 23.06.2015 à 14h16 • Mis à jour le 26.06.2015 à 12h21

Expert des métamorphoses les plus étranges, le photographe de mode anglais Nick Knight entretient une passion plus sage : celle des roses thé. Il cueille celles qui viennent d’éclore et les photographie avec son smartphone. Des instants suspendus qu’il poste sur Instagram.

Déjà trente ans qu’il froisse les idées lisses de la mode avec ses clichés. Complice du créateur de mode Alexander McQueen, Nick Knight a fait de l’étrange son langage. Björk transformée en princesse Leia au pays des geishas sur la couverture de son album Homogenic, c’était lui. Lady Gaga avec des excroissances de peau collées sur les tempes, encore lui. On se souvient aussi de Kate Moss entièrement recouverte de peinture noire (Black Kate, 2006) ou encore de cette créature vêtue en Yohji Yamamoto fumant une cigarette aux volutes inquiétantes (Susie Smoking, 1988).

Difficile d’imaginer qu’entre ces prises de vue le photographe soigne méticuleusement les quarante rosiers plantés dans la cour intérieure de sa maison. « Les gens sont souvent surpris par mes images de fleurs, mais c’est assez traditionnel chez les photographes portraitistes, dit-il Regardez, par exemple, les clichés d’arums produits par Robert Mapplethorpe. C’est un peu comme les architectes qui se mettent à dessiner des meubles, c’est une manière de sortir de nos sujets habituels. C’est formidable de se retrouver sans équipe ni brief, sans personne d’autre à satisfaire que soi-même. »

“La poésie tragique derrière chaque éclosion”

Sensibilisé au monde végétal par sa famille, Nick Knight aiguise sa curiosité lorsque le Musée d’histoire naturelle de Londres l’invite à créer une installation permanente, Plant Power, en 1993. « Je me suis immergé dans les archives du musée avec ma femme et j’ai pu photographier des plantes conservées depuis plus de trois cents ans sous forme d’herbier, raconte-t-il. J’ai été frappé par le caractère éternel de ces spécimens, qui n’ont pas vocation à être esthétiques mais à enrichir les connaissances scientifiques. » Une démarche à l’inverse de la sienne lorsqu’il photographie ses roses. « Je ne regarde pas ces fleurs comme des objets romantiques, confie-t-il. Ce qui me fascine, c’est la poésie tragique qui se lit derrière chaque éclosion. Ces roses luttent pour sortir de terre et une fois qu’elles sont parfaitement ouvertes, elles annoncent leur mort imminente. C’est aussi sublime que gothique. »

Ainsi, dès qu’il sort du studio, il les observe, les plonge dans l’eau, décortique leur architecture, la nervure de leurs pétales et les photographie avec son téléphone pour saisir ce qui va disparaître et le partager sur le réseau social Instagram où il cumule déjà plus de 162 000 abonnés. « Lorsque les gens ont appris que j’utilisais mon iPhone, certains ont vivement réagi comme si ces photos n’étaient pas dignes de mon travail habituel, précise le photographe. J’ai trouvé cela étrange car c’est un peu comme si on demandait à un chanteur quel microphone il utilise pour enregistrer ses chansons. C’est l’intention artistique qui compte, pas l’outil. Or, mon téléphone me permet de communiquer directement avec le monde entier. Je ne crois pas qu’on ait jamais connu une pareille liberté. On a éliminé la tierce personne qui commande ou édite. Cela constitue un changement culturel révolutionnaire comparable à l’arrivée de la photographie lorsqu’il n’y avait encore que la peinture. Ce n’est finalement pas étonnant que cela provoque de l’indignation. »

D’autres fans du photographe de mode sont déroutés par la dichotomie entre ses portraits dérangeants et la douceur pastel de ses clichés de roses. « Il y a pourtant des liens évidents entre ces photographies, répond-il. D’ailleurs, si vous regardez bien mes roses, vous verrez des robes fleurir en plein coeur ; et sur la peau des mannequins que je photographie, vous distinguerez peut-être des nuances de rose thé. » Et pour ceux qui ne sauraient se contenter d’Instagram, Nick Knight signe une édition limitée de douze images en très grand format (71 × 81 cm) dans un coffret Rose Portfolio 2012-2014.

Les images publiées ici sont extraites du coffret Rose Portfolio 2012-2014, signé Nick Knight.


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